Le karma de Pharoah
1. The Creator Has a Master Plan
Dans un geste largement syncrétique, embrassant tous les monothéismes sans faire allégeance à une quelconque religion, Pharoah Sanders signait en 1969 ce titre qui prêche la paix et le bonheur pour tous, entre volutes de flûte entêtantes, transe modale et psalmodie illuminée, en une longue plage continue de trente minutes. Repris, samplé, chanté, « The Creator Has a Master Plan » est devenu l’hymne du jazz spirituel, ce courant qui, au sortir des sixties, cherchait, par le biais de la musique, un ailleurs mental aux horizons d’une société rongée par les tensions raciales, sociales et politiques.
Pharoah Sanders - The Creator Has a Master Plan [Live]
2. Thembi
« Thembi signifie l’espoir, la foi et l’amour », peut-on lire dans les notes de l’album du même nom, sorti en 1971 chez Impulse, label clé du jazz mystique. Outre le ténor, Pharoah Sanders y est crédité à la flûte, aux cloches, à la sanza, aux maracas, à la corne et au fifre, quand autour de lui figure un groupe de quatre percussionnistes, pas moins. C’est que la traduction des élans mystiques et de la ferveur du « Pharaon » passe par une multitude de souffles et un entrecroisement de rythmes qui l’ont poussé à se livrer au fil du temps à de nombreuses expériences, comme avec les musiciens gnawas ou le percussionniste Zakir Hussain, avec qui il partagera la scène de Jazz à la Villette le 1er septembre prochain.
Pharoah Sanders - Thembi
3. Giants Steps
De la trinité de saxophonistes qui fit souffler sur le jazz un ouragan mystique à la fin des sixties, John Coltrane était le Père, Pharoah Sanders le Fils et Albert Ayler le Saint-Esprit, selon la formule consacrée de ce dernier. Le « Fils », donc, qui seconda le « Père » pendant les deux dernières années de sa vie, sur scène et sur disque, et l’accompagna jusqu’aux confins de la galaxie sonore. Depuis la disparition de Coltrane, il y a un demi-siècle, Pharoah a maintenu la flamme de son mentor, revenant régulièrement aux thèmes qu’ils jouèrent ensemble, comme « My Favorite Things » ou « Naima », et remontant parfois en amont de leur collaboration en interprétant des morceaux marqués de l’empreinte du géant, tel « Giant Steps ».
Pharoah Sanders - Giant steps, San Sebastian Jazz Festival 2013
4. Kazuko
Comment transformer la musique en expérience de révélation ? Faire du son le vecteur d’une élévation ? Donner à l’écoute d’un morceau les vertus d’une méditation ? Ce sont quelques-unes des questions que Pharoah Sanders a cherché à résoudre au fil de ses expériences. Puisant dans les traditions orientales, indiennes et africaines la matière de son inspiration, développant dans son jeu une pratique du souffle continu, cherchant dans la résonance un dépassement de la finitude d’une note, poussant son saxophone aux confins du timbre, sa quête inlassable de transcendance s’est toujours faite par la démultiplication des qualités vibratoires du son.
Pharoah Sanders - "Kazuko" - An Abandoned Tunnel
5. Body and Soul
Le ténor véhément au son écorché a longtemps tenu cachés sa capacité à interpréter les standards et son ancrage dans le be-bop. Ce n’est que sur le tard que s’est révélé son talent pour l’interprétation de mélodies de thèmes comme Body and Soul, morceau étalon des saxophonistes ténors depuis la version qu’en donna Coleman Hawkins. Une lignée dans laquelle Pharoah Sanders s’inscrit plus qu’on ne le soupçonnait durant ses premières années illuminées, et un titre qui résume assez bien la manière dont, chez lui, l’exercice physique de la musique n’est jamais détaché de celui de l’âme.
Pharoah Sanders - Body and Soul - Live in Marciac 2004
Vincent Bessières